48h à Arles pour les Rencontres de la Photographie

Prémices d'une journée d'été, je me suis réveillée au creux d’un motel des années 60, entre béton brut et ciel blanchi par le soleil : Les Cabanettes. Vous les avez aperçues, vous aussi, ces éclaircies? Libres et légères comme un décor de film où l’on serait à la fois actrice et spectatrice. Ma valise est au sol, mon corps est encore plié dans le coton froissé, et Arles me tend déjà ls bras, ou plutôt l’œil.

Chaque été depuis 1970, Arles se transforme en chambre noire à ciel ouvert. On y développe des regards, des récits, des souvenirs. On y expose les failles, les luttes, les rituels, les visages. Les Rencontres de la Photographie ont vu défiler les plus grands noms, Helmut Newton, Nan Goldin, William Klein, mais surtout, elles ont permis de faire émerger de nouvelles voix qui me paraissent nécessaires.

Arles, scène vivantevivante

"On écrit pour exister, on écrit parce qu'on a quelque chose à dire, on écrit parce qu'on la courage de faire, on écrit pour comprendre" sont les mots du réalisateur Michelangelo Antonioni dont je vous conseille "L'avventura" film sorti dans les années 60. Et je suis persuadée qu’Arles, chaque été, souffle le même élan sur les lèvres de ses visiteurs : « Je commence à comprendre.

L'année dernière, j'ai eu la chance de croiser la route de Magnus, réalisateur suédois d'une soixantaine d'années dont les mots ont su trouver mon coeur, et je l'espère le vôtre. Alors je lui ai lancé, comme on pose une énigme : « Et quand la ville s’endort, que reste-t-il de vous, seul à Arles ?"

« La solitude est une amie fidèle. Elle est la promesse de ma prochaine découverte sur un monde mystérieux que j’ai bâti à l’intérieur. J’ai ce carnet dans la main depuis bientôt 10 ans. J’y note des mots solitaires, de courtes idées. Et lorsque je l’ouvre, mon passé semble sceller mon avenir de ces petits riens que me suis engagé à ne jamais oublier. « Je commence enfin à comprendre » après les premiers cris de mon fils. « Sa robe à la couleur des hortensias de ma mère » saisi par l’allure d’une femme qui deviendra celle de ma vie. »

Vous commencez à comprendre ? Arles vous tend les bras, et vous invite à vous découvrir.

Conseil d’initiée : pour profiter pleinement d’Arles, prévoyez d’arriver à partir du mercredi — c’est souvent à ce moment-là que les galeries, boutiques et restaurants lèvent leurs rideaux. La ville s’éveille doucement, mais sûrement.

Jour 1 -- Arles, l’image et le goût

9h14 — Je traverse la cour des Cabanettes encore tiède de la nuit. Le soleil s’infiltre entre les arches en béton, et déjà, le silence est percé par des cris d’hirondelles. Un café allongé, les paupières encore pleines de rêves et cette envie de me laisser traverser par la journée.

10h00 — Fondation Vincent Van Gogh

Je glisse dans les ruelles, déjà baignées d’un soleil blanc. Un tour au marché. Des figues. Des voix fortes. Puis je pousse la porte de la Fondation. Van Gogh s’y mêle à d’autres regards. Une rétrospective majeure consacrée à Sigmar Polke dévoile l’ironie mordante et la liberté formelle d’un artiste hors norme. Peintures, films, photographies et sculptures composent un parcours expérimental, où l’humour et la critique sociale dialoguent avec l’histoire de l’art.

Sigmar Polke
Sous les pavés, la terre.
sam. 1 mars – 26 oct. 2025

12h07 — Nan Goldin, syndrome de Stendhal

Une autre lumière. Une autre fièvre. Les photos de Goldin sont posées là comme des cicatrices brillantes. L’intime à nu, le regard brut, les amours fêlés. Je ne lis pas tout. Je regarde. Je ressens. À travers un diaporama inspiré des Métamorphoses d’Ovide, ses proches deviennent des figures mythologiques, sublimés par la voix de l’artiste et une bande sonore envoûtante. Une traversée vertigineuse où l’amour, l’art et la mémoire se confondent, jusqu’à atteindre ce point de bascule où la beauté submerge.

Nan Goldin, syndrome de Stendhal
Eglise Saint-Blaise
7 juillet – 5 octobre 2025

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13h30 — Inari

Une ancienne chapelle transformée en table vivante. Un menu court, des ingrédients qui chantent le Sud. Les plats arrivent comme des confidences, avec cette saveur singulière du Sud que Céline Pham sait faire chanter.

Après avoir nourri les plus belles tables nomades du monde, de Paris à Mexico, elle a choisi Arles pour ancrer son imaginaire au creux de ces murs sacrés, elle invente une cuisine précise, lumineuse, libre.

Je ris avec une femme assise en face de moi. Elle est styliste, elle est venue seule, elle porte un col roulé en lin malgré la chaleur. Elle me dit « C’est rare une ville qui te laisse t’effondrer à 14h et te réinventer à 18h, comme si de rien n’était. »

Inari
Ouvert du mercredi au dimanche soir
16 Pl. Voltaire, 13200 Arles

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15h11 — Julie Barrau

Son showroom est une maison, un lieu de passage, un écrin pour les formes anciennes. Je tombe amoureuse d’un fauteuil en fer tordu, d’un abat-jour en papier mâché. Je ne repars qu’avec une lampe — mais dans ma tête, j’ai déjà refait tout mon salon.

16h02 — La Parfumerie Arlésienne

Un souffle d’immortelle, de figue, d’encens. Un parfum me colle à la peau, il s’appelle Poussière d’été. Je crois que je viens de trouver mon odeur de la saison.

5 rue du palais, Arles

19h00 — La Table d’Estoublon

Au bout d’une allée bordée de cyprès, d’oliviers centenaires et de vignes brûlées de soleil, le Château d’Estoublon abrite un trésor discret : une table ouverte sur les Alpilles, menée par le chef Wim Van Gorp.

Ici, le potager dicte le menu. Le pain est encore tiède, les tomates confites fondent sous les herbes fraîches, et le bouillon d’une bouillabaisse au parfum d’Asie évoque un soir d’été en suspens.

L’huile d’olive brille comme un bijou. Le rosé (Roseblood, bien sûr) pétille à peine. Le ciel se plisse, doré, derrière les rosiers. Et tout s’apaise.

Le Château d’Estoublon
Route de Maussane, 13990 Fontvieille

16 Pl. Voltaire, 13200 Arles

22h00 — Sous les étoiles, le cinéma

Retour en ville. Une cour cachée, des chaises dépareillées, une toile tendue entre deux murs blanchis par le temps.

Dans le cadre des 9èmes Rencontres Cinématographiques d’Arles, je découvre Connemara d’Alex Lutz. Un film brut et tendre, à la lumière d’un projecteur en plein air. Ce soir-là, la fiction éclaire nos réalités.

Les 9èmes Rencontres Cinématographique d’Arles
Du 28 juillet au 1er août

Jour 2 Arles, en images et en impressions

10h – Marché provençal et Alyscamps

Après un café à l’Arlatan, je fais une halte chez Alyscamps fondée par une ancienne pharmacienne devenue cueilleuse de beauté. Tout est local, bio, formulé avec sérieux et raconte la Provence : figue, olive, tournesol.

L’Arlatan pour le café
20 Rue du Sauvage, 13200 Arles

Maison française Alyscamps
16 Pl. de la République, 13200 Arles

11h11 – Exposition Claudia Andujar — À la place des autres

Bien avant son engagement auprès des Yanomami, Claudia Andujar captait déjà les failles et la beauté de l’humanité. L’exposition dévoile ses archives intimes, de Familles brésiliennes à A Sônia, jusqu’à ses premières images en Amazonie. Un regard doux et radical, qui choisit la lenteur et la proximité face à l’urgence du monde.

Exposition Claudia Andujar — À la place des autres
Maison des peintres
7 juillet – 5 octobre 2025
9H30 – 19H30

16 Pl. Voltaire, 13200 Arles (1)

12h05 – Entre fiction et feu réel — choisir son vertige

D’un côté, Kourtney Roy. Elle se met en scène dans des autoportraits acidulés, entre humour pop et critique mordante du tourisme. C’est irrévérencieux, stylisé, surréaliste. Elle joue tous les rôles pour mieux questionner l’identité.

De l’autre, Letizia Battaglia. Photographe de la mafia sicilienne, elle capte l’indicible : la douleur, la résistance, la vérité nue. C’est frontal, incarné, bouleversant.

Vous hésitez ? C’est normal. Je n’ai pas su choisir. L’une invente des mondes, l’autre les affronte. Deux femmes, deux regards et deux façons de ressentir la brûlure du réel.

Kourtney Roy – La Touriste
Ancien collège Mistral
7 juillet – 5 octobre 2025

Letizia Battaglia, J’ai toujours cherché la vie
Chapelle Saint-Martin du Méjan
7 juillet – 5 octobre 2025

16 Pl. Voltaire, 13200 Arles (2)

13h – Déjeuner à l’hôtel Présent

Un ancien bâtiment réinventé en lieu de vie vibrant à quelques minutes à pieds des arènes arlésiennes. L’équipe de Faim soif aussi y pose ses valises pour une résidence estivale, du 17 juin au 13 septembre, et transforme la table en galerie comestible. Ouvert seulement le samedi midi autant dire : une parenthèse précieuse.
Assiettes locales, dressage inspiré, produits du Sud travaillés avec audace.

Hôtel Présent
Ouvert le samedi midi, et tous les soirs du lundi au samedi
5 Pl. Voltaire, 13200 Arles

15h – Flâner, qu’on pourrait aussi nommer « quartier libre »

Et si vous en profitiez pour faire connaissance avec Nan Goldin ? Taper son nom, tomber sur ses photos granuleuses, sa voix éraflée, ses autoportraits nus de fard et de mensonge.

Lire qu’elle a grandi dans une banlieue bourgeoise de Washington, marquée à jamais par le suicide de sa sœur Barbara, à l’âge de 18 ans. Qu’elle a quitté le foyer très jeune pour New York, les squats de Bowery, les amours libres, les drogues, les nuits sans fin. Une survivante. Une furie douce. Son appareil photo était une arme et un refuge. Elle disait : « Je photographie les gens que j’aime. »

Suivre l’ombre d’une femme qui a transformé ses douleurs en lumière pour ne pas se réparer à tout prix, mais continuer à regarder le monde bien en face.